Le relèvement temporaire du seuil de dispense de mise en concurrence pour les marchés publics de travaux par la loi ASAP : une fausse bonne solution ?

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En vertu de l’article 142 de la loi ASAP[1], les acheteurs publics peuvent, jusqu’au 31 décembre 2022, conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100K € HT. Rappelons qu’en juillet 2020, un relèvement des seuils avait déjà été effectué pour ces mêmes marchés de travaux[2].

Les acheteurs publics doivent toutefois veiller à choisir une offre « pertinente », à faire « une bonne utilisation des deniers publics » et « à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique » lorsqu’une pluralité d’offres sont susceptibles de pouvoir répondre à leur besoin.

Le Conseil constitutionnel a également jugé bon de préciser[3] que ces dispositions « n’exonèrent pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics. »

L’objectif, à première vue louable, est de faciliter l’accès à la commande publique des TPE/PME œuvrant dans le secteur des travaux publics et du bâtiment, fortement impactées par les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire. Sont notamment visées les opérations de travaux des communes rurales ou les « petites » opérations de travaux de collectivités plus importantes.

Toutefois et malgré toutes ses bonnes intentions, cette mesure semble, près d’un an après son entrée en vigueur, privilégier la rapidité à la moralité voire à l’efficience, et nous apparaît dès lors discutable pour plusieurs raisons.

Concilier rapidité et égalité de traitement : un pari difficile voire impossible ?

Tout d’abord, cette mesure nous semble difficilement à même de garantir le respect de certains principes fondamentaux de la commande publique, et en particulier l’égalité d’accès à la commande publique. En effet, il apparaît évident qu’un acheteur public non tenu de formaliser une mise en concurrence préfèrera désormais contracter avec une entreprise qu’il connait déjà, pour des raisons à la fois de confiance et de rapidité.

En conséquence, des entreprises habituées à répondre aux mises en concurrence ont maintenant pris l’habitude de se faire elle-même connaître auprès de l’acheteur public en amont de la passation de ces marchés, au risque de se trouver automatiquement évincées du processus d’achat.

Cette mesure met aussi en avant le risque que des entreprises locales se trouvent favorisées au détriment d’entreprises plus éloignées, mais dont la spécialisation les rendrait peut-être plus à même dans certains cas de répondre aux besoins de l’acheteur.

L’objectif de rendre l’accès à la commande publique plus facile pour les TPE/PME n’apparaît ainsi que partiellement atteint, l’application de cette mesure ayant pour principal effet de se faire au détriment d’entreprises peu connues des acheteurs ou dont la politique de communication est peu développée, faute de ressources suffisantes.

Malgré les affirmations du législateur et du Conseil constitutionnel, le principe d’égal accès à la commande publique semble bien dans les faits réduit à peau de chagrin. Difficile effectivement de vouloir concilier rapidité de conclusion de contrats – qui semble être l’objectif premier poursuivi par cette loi – et égalité de traitement des entreprises.

Enfin, en laissant le choix de l’entreprise à la discrétion de l’acheteur public, cette mesure favorise nécessairement la conclusion de contrats illégaux ainsi que le développement de pratiques illicites au premier rang desquelles figurent le délit de favoritisme, les conflits d’intérêt et plus généralement la corruption.

Une mesure générant de l’insécurité juridique

Difficilement conciliable avec le respect des principes fondamentaux de la commande publique, il apparaît que cette mesure génère de fait une insécurité juridique peu souhaitable, même en période de crise, et qui risque, dans certains cas, de porter préjudice directement aux acheteurs publics.

Tout d’abord, on observe que par souci de facilité et de rapidité, bon nombre d’acheteurs signent directement les Conditions Générales de Vente et autres documents de l’entreprise cocontractante, qui sont évidemment très favorables à cette dernière (clauses de résiliation avec pénalités, obligations allégées, modalités de non-reconduction dans des délais très courts, etc.).

Ensuite, en l’absence quasi-totale de tout contrôle de la part de l’acheteur qui s’évertuera à aller le plus vite possible pour réaliser son achat et ne sollicitera que très peu son service juridique, le contrôle du respect des principes fondamentaux reposera uniquement sur un éventuel contrôle du juge administratif a posteriori dans le cadre d’une action contentieuse engagée par un tiers, un candidat évincé ou encore, pour les collectivités territoriales, d’un contrôle de légalité par le préfet (pour les marchés de plus de 214 000 € HT).

Or, l’utilisation de la procédure du référé précontractuel risque bien dans ce cas de se retourner contre les acheteurs publics qui auraient conclu des contrats un peu hâtivement. Effectivement, rappelons que le droit interne reste soumis au droit européen et que ses principes fondamentaux (égalité de traitement, non-discrimination et transparence, etc.) s’appliquent également en-dessous des seuils de dispense de publicité et mise en concurrence.
Par conséquent, il n’est pas impossible, en pratique, qu’en cas de référé précontractuel exercé par un tiers s’estimant évincé, un contrat se trouve annulé[4]. A vouloir trop encourager la rapidité, le législateur favorise en définitive davantage l’insécurité au détriment à la fois des acheteurs et des entreprises.

Le caractère contraignant de la mise en concurrence : un faux-procès

Selon l’exposé des motifs de la loi, la mesure vise à faciliter l’accès des TPE/PME aux marchés publics de travaux en leur évitant « le formalisme d’une procédure de publicité et de mise en concurrence [qui] peut s’avérer être une contrainte disproportionnée par rapport aux enjeux de l’achat envisagé. »

Il est indéniable qu’un contrat conclu « de gré à gré » sera toujours une procédure moins contraignante qu’une mise en concurrence. Toutefois, imputer le difficile accès des TPE/PME aux marchés publics de travaux uniquement au caractère trop « contraignant » de la procédure de mise en concurrence nous apparaît comme un faux-procès.

En effet, le Code de la commande publique offre déjà un certain nombre de possibilités en matière de dérogation à la mise en concurrence. Citons par exemple les accords-cadres à bons de commande, fréquemment utilisés pour des achats répétitifs, ou encore les marchés subséquents passés sous le fondement d’un accord-cadre, qui permettent de trouver rapidement un co-contractant.

En pratique, le réel frein à l’accès des TPE/PME aux marchés publics de travaux nous semble moins résider dans la procédure de mise en concurrence elle-même que dans la lourdeur administrative et la technicité de certaines formalités, rendant in fine la procédure difficilement accessible à des entreprises de petites tailles. Effectivement, ces dernières ne sont pas toujours formées aux subtilités juridiques et administratives, pourtant nécessaires à la compréhension ou la rédaction de certains documents obligatoires (ex : cahiers des charges difficilement lisibles, rédaction d’un mémoire technique, formalités administratives très contraignantes, etc.).

Par conséquent, plutôt que d’opter une nouvelle fois pour un relèvement des seuils, n’aurait-il pas été préférable d’opter pour des procédures de publicité et mise en concurrence « allégées » ? Cette solution, plus égalitaire, aurait été également garante d’une plus grande sécurité juridique.

Voyons toutefois le verre à moitié plein dans la mesure où de récentes réformes vont permettre d’alléger le formalisme dans les marchés publics. On peut notamment citer la suppression par deux décrets en date du 21 mai 2021[5] de l’obligation de fournir un extrait Kbis par les soumissionnaires à compter du 1er novembre 2021. Ce sera désormais à l’acheteur de vérifier l’existence juridique d’une entreprise via la nouvelle plateforme https://annuaire-entreprises.data.gouv.fr/.

 

[1] Loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (loi ASAP)

[2] Décret n° 2020-893 du 22 juillet 2020 portant relèvement temporaire du seuil de dispense de procédure pour les marchés publics de travaux et de fourniture de denrées alimentaires

[3] Conseil Constitutionnel, décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020

[4] Toutefois, la nature de même de ces marchés, qui n’ont pas fait l’objet d’une publication, permet de réduire drastiquement le risque de contentieux, du fait qu’il est très difficile pour des tiers d’avoir connaissance de l’existence de ces marchés.

[5] Décret n° 2021-631 et Décret n° 2021-632 du 21 mai 2021 relatifs à la suppression de l’exigence de présentation par les entreprises d’un extrait d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers dans leurs démarches administratives

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